Tags... (IV)
DOMMAGE !
(Joëlle BRETHES)
- Michel, y’en a marre bordel de merde ! T’aurais pas pu aller faire « ça » ailleurs que chez nous ?
Un coup de pied dans le tibia pour attirer l’attention de l’adolescent qui grogne sous le casque de son baladeur et lance une œillade assassine. Lui aussi, il en a marre. Marre de la maison, marre de l’école, marre de la rue et des petits bourgeois qui lui ont fait la chasse pendant des semaines avant de l’alpaguer et de le traduire devant leur « justice-mon-cul ».
Il n’y peut rien s’il a des fourmis dans les doigts dès qu’il passe devant une surface unie et propre. Et franchement, il se retient le plus souvent ! Sinon !... Mais y’a des moment où se laisser aller, ça soulage. Pas de quoi fouetter un chat, pas de quoi en faire tout un fromage : un petit coup de marqueur ici ou là, c’est pas bien méchant. À la télé, y’a la fille d’un flic qui en laisse partout, des traces sur les murs. Mais bien sûr, pas touche à la fifiiiille du commissaire : les locataires, ils ne disent rien. Ou pas grand chose et pas bien fort. C’est pas comme ceux de son immeuble ! Toujours pareil partout : deux poids et deux mesures. C’est que le père de Michel, il n’est pas commissaire, lui ! Michel ne sait même pas ce qu’était son père : il ne l’a jamais connu. Il paraît qu’il est mort. Il s’est taillé, plutôt. Et il a bien fait. Parce que le quartier, il est à chier. Et quarante-cinq mètres carrés pour six personnes, ça faisait pas bézef chacun...
Michel, ils l’ont piqué dans le métro, les keufs. Il était en train de coller sa signature sur le nibard de Julie Andrews. Une pub pour son prochain film. Plus racoleur, tu meurs ! C’est tout juste s’ils ne l’ont pas accusé d’avoir pollué toute leur sacro-sainte ligne. Le tube et les cages roulantes. Ils ont mêmes mis le paquet : ils ont recherché sa signature sur toutes les surfaces du secteur. Je vous jure ! Comme s’ils n’avaient pas plus urgent à faire avec tous les tireurs de larfeuilles de bourges cossus ou de sacs de mémères à chien-chiens... Ils lui ont collé 72 heures de TIG, à Michel. La honte ! Les copains rigolaient en le voyant avec un seau et des brosses, et le beau monde le regardait de travers ou l’insultait avec leçon de morale à la clef. Alors leurs murs, leurs rideaux de fer, leurs couloirs de métro... il n’ose plus y toucher, Michel. Pas envie de se retrouver encore avec une brosse et un seau... Mais alors où se décharger les doigts ? Surtout si les quatre murs de la famille sont aussi interdits.
Partir. Il devrait partir
C’est pas la mère qui s’en plaindrait. Une bouche de moins à nourrir et un peu plus de place pour ceux qui restent.
Pas les profs non plus. Ils l’auraient viré depuis longtemps s’il n’avait pas été astreint à l’obligation scolaire.
Oui, il devrait partir. Chez Virginie. Une nana super cool, beaucoup plus vieille que lui mais complètement dingue de sa trogne de petite frappe.
Les vieilles de trente berges pleines aux as, ce n’était pas vraiment son truc, à Michel. Mais il n’avait pas beaucoup le choix. Et puis, ça lui donnait une idée. Une idée qui plairait sans doute à cette déjantée de Virginie : son joli corps laiteux de rousse ferait une chouette surface à tagguer. Il faudrait commencer par les fesses. Puis remonter le long du dos, entre les omoplates avant de redescendre sur les seins, le ventre plat, les cuisses longues...
Michel a ôté son casque et il descend les escaliers sombres de l’immeuble crasseux. Il sourit dans ses fantasmes : Virginie adôôôôôôre ce qu’il fait et lui amène ses amies, toutes ses amies...
Il se voit tagguant et tagguant une multitude de corps féminins moelleux, palpitant sous son marqueur.
Il arrive devant chez elle. Il sonne. Bruit de pas précipités dans le couloir, elle ouvre tout excitée :
- Tu arrives à point: regarde !
Il frémit en découvrant, sur l’épaule qu’elle dénude pour lui, un tatouage représentant un lion.