L'ART DE CUEILLIR LE HAÏKU
Effleurer l’instant
de quelques mots en lignes
cueillir un haïku
Trois petites lignes. Rien de plus facile à trousser, pourrait-on penser !
Hélas ! Il n’en est rien. L’élaboration d’un haïku relève d’une subtile alchimie… à part bien sûr pour ceux qui sont tombés dans l’alambic à leur naissance, ceux qui haïkisent comme ils respirent. Je ne fais pas partie de ces heureux inspirés, malheureusement.
Moi, je tâcheronne, je brouillonne, ma plume suçote désespérément ses trois vers.
Mais rien ne vaut un bon exemple.
Un soir, en rentrant chez moi, je tombe sur le petit voisin qui fait du vélo sous la pluie, tenant d’une main un grand parapluie bleu et blanc pour s’abriter.
Vision insolite, on ne peut plus propice à l’éclosion d’un haïku. Non ?
Les petites cellules grises en ébullition, je me précipite sur mon crayon :
Première version : Enfant à vélo
ouvrant un grand parapluie
zigzag sous la pluie
Pluie… pluie… c’est nul ! et redondant ! et la rime, à éviter…
Deuxième version : Enfant à vélo
ouvrant un grand parapluie
zigzag sous les gouttes
Pas très harmonieux cet « enfant-à-vélo ». un hiatus ! Ne pas faire de hiatus : règle ancrée dans ma conscience de rimailleuse qui s’est exercée au classique. Oui ! vraiment classique : rimes, consonnes d’appui, alexandrins, césure, pas d’échos, sonnets et autres ballades… Lourde hérédité pour une apprentie haïkiste. Du passé faisons table rase !
Autre essai : Sur le vélo blanc
zigzague à travers les gouttes
un grand parapluie
Euh !... peut-être vaudrait-il mieux permuter les lignes 1 et 3 ? Tiens ! Je me sens une âme de Monsieur Jourdain (désolée pour les femmes mais je ne peux pas dire Madame Jourdain qui se serait bien moquée des haïkus si elle en avait entendu parler)
Voyons… Un grand parapluie
zigzague à travers les gouttes
sur le vélo blanc
Aïe ! cette fois la chute me semble banale et la coupure, la respiration, elle est passée où, Monique ? Méfiance ! Méfiance ! La troisième ligne ne doit pas être explicative. Il faut suggérer… suggérer, bon sang ! Faire naître une image, une sensation dans la tête du lecteur, ton double, ton frère. Sinon, c’est plus du haïku.
Autant faire des photos et mettre une étiquette. Bon ! Les poèmes de Cyrano servaient à envelopper tartelettes et pâtés. Je peux bien être rédactrice d’étiquettes.
On reprend. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage…
Voyons… Un grand parapluie
zigzague à travers les gouttes
vélo sous la pluie
Et vlan ! Chassez le naturel (ou plutôt l’absence de naturel)… Cette dernière ligne ! Elle craint la dernière ligne. Mon défaut principal : étaler « ma culture ». Comme dit l’autre, moins on en a, plus il faut l’étaler.
Ici, référence aux archétypes « film-culte » : vélo sous la pluie… Chantons sous la pluie.
Dansons sous la pluie ! Tiens, une autre idée vient télescoper la première. Et si je terminais par « danse sous la pluie » ? Mais alors, il faut changer la ligne 2.
Ça donne quoi ? Un grand parapluie
arrimé à un vélo
danse sous la pluie
Revoilà le problème de la rime. Pas trop difficile à corriger : un parapluie bleu ?... ou blanc, ça sonne mieux ?
Donc : Un parapluie blanc
arrimé à un vélo
danse sous la pluie
Bof ! Voilà l’enfant qui a disparu… J’aime autant la première mouture. Et si je changeais la ligne 3 pour donner un ton plus humoristique. Ça fera un senryu ?
Un grand parapluie
zigzague à travers les gouttes
le vélo suit
Et c’est là que je ne sais plus, que la muse m’abandonne lâchement. Quelle version est la moins mauvaise ? Et comment récupérer mon p’tit voisin qui m’a inspiré ?
Pour le haïku génial et plein de grâce, c’est encore raté pour cette fois.
C’est pourquoi j’ai tout un carnet de brouillons. Et, signe d’un destin facétieux, sur la couverture du carnet figure… un bonnet d’âne ! Cela ne s’invente pas.
Épilogue. Heureux bien sûr ! Écrire un haïku, c’est du pur bonheur.
Après quelques échanges avec ma gourou en haïku – que n’ai-je commencé par là ?-
LE HAÏKU :
Un grand parapluie
zigzague sur le trottoir
Holà ! P’tit vélo !
Monique MERABET
Epilogue-bis: mon haïku a été publié dans "LA RUMEUR DU COFFRE A JOUETS" (Anthologie des Editions LIROLI) et mon haïbun publié sur 575 revue francohone de haïkus