L'ART DE CUEILLIR LE HAÏKU

Publié le par Monique MERABET

Effleurer l’instant

de quelques mots en lignes

cueillir un haïku

 

Trois petites lignes. Rien de plus facile à trousser, pourrait-on penser !

Hélas ! Il n’en est rien. L’élaboration d’un haïku relève d’une subtile alchimie… à part bien sûr pour ceux  qui sont tombés dans l’alambic à leur naissance, ceux qui haïkisent comme ils respirent. Je ne fais pas partie de ces heureux inspirés, malheureusement.

Moi, je tâcheronne, je brouillonne, ma plume suçote désespérément ses trois vers.

 

Mais rien ne vaut un bon exemple.

Un soir, en rentrant chez moi, je tombe sur le petit voisin qui fait du vélo sous la pluie, tenant d’une main un grand parapluie bleu et blanc pour s’abriter.

Vision insolite, on ne peut plus propice à l’éclosion d’un haïku. Non ?

Les petites cellules grises en ébullition, je me précipite sur mon crayon :

 

Première version : Enfant à vélo

                  ouvrant un grand parapluie

      zigzag sous la pluie

 

Pluie… pluie… c’est nul ! et redondant ! et la rime, à éviter…

 

Deuxième version : Enfant à vélo

                                 ouvrant un grand parapluie

              zigzag sous les gouttes

 

Pas très harmonieux cet « enfant-à-vélo ». un hiatus ! Ne pas faire de hiatus : règle ancrée dans ma conscience de rimailleuse qui s’est exercée au classique. Oui ! vraiment classique : rimes, consonnes d’appui, alexandrins, césure, pas d’échos, sonnets et autres ballades… Lourde hérédité pour une apprentie haïkiste. Du passé faisons table rase !

 

Autre essai : Sur le vélo blanc

         zigzague à travers les gouttes

         un grand parapluie

 

Euh !... peut-être vaudrait-il mieux permuter les lignes 1 et 3 ? Tiens ! Je me sens une âme de Monsieur Jourdain (désolée pour les femmes mais je ne peux pas dire Madame Jourdain qui se serait bien moquée des haïkus si elle en avait entendu parler)

 

Voyons… Un grand parapluie

      zigzague à travers les gouttes

      sur le vélo blanc

 

Aïe ! cette fois la chute me semble banale et la coupure, la respiration, elle est passée où, Monique ? Méfiance ! Méfiance ! La troisième ligne ne doit pas être explicative. Il faut suggérer… suggérer, bon sang ! Faire naître une image, une sensation dans la tête du lecteur, ton double, ton frère. Sinon, c’est plus du haïku.

Autant faire des photos et mettre une étiquette. Bon ! Les poèmes de Cyrano servaient à envelopper tartelettes et pâtés. Je peux bien être rédactrice d’étiquettes.

On reprend. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage…

 

Voyons… Un grand parapluie

      zigzague à travers les gouttes

     vélo sous la pluie

 

Et vlan ! Chassez le naturel (ou plutôt l’absence de naturel)… Cette dernière ligne ! Elle craint la dernière ligne. Mon défaut principal : étaler « ma culture ». Comme dit l’autre, moins on en a, plus il faut l’étaler.

Ici, référence aux archétypes « film-culte » : vélo sous la pluie… Chantons sous la pluie.

Dansons sous la pluie ! Tiens, une autre idée vient télescoper la première. Et si je terminais par « danse sous la pluie » ? Mais alors, il faut changer la ligne 2.

 

Ça donne quoi ?  Un grand parapluie

    arrimé à un vélo

    danse sous la pluie

 

Revoilà le problème de la rime. Pas trop difficile à corriger : un parapluie bleu ?... ou blanc, ça sonne mieux ?

 

Donc :              Un parapluie blanc

arrimé à un vélo

danse sous la pluie

 

Bof ! Voilà l’enfant qui a disparu… J’aime autant la première mouture. Et si je changeais la ligne 3 pour donner un ton plus humoristique. Ça fera un senryu ?

 

Un grand parapluie

zigzague à travers les gouttes

le vélo suit

 

Et c’est là que je ne sais plus, que la muse m’abandonne lâchement. Quelle version est la moins mauvaise ? Et comment récupérer mon p’tit voisin qui m’a inspiré ?

Pour le haïku génial et plein de grâce, c’est encore raté pour cette fois.

 

C’est pourquoi j’ai tout un carnet de brouillons. Et, signe d’un destin facétieux, sur la couverture du carnet figure… un bonnet d’âne ! Cela ne s’invente pas.

 

Épilogue. Heureux bien sûr ! Écrire un haïku, c’est du pur bonheur.

Après quelques échanges avec ma gourou en haïku – que n’ai-je commencé par là ?-

 

LE HAÏKU :

 

Un grand parapluie

zigzague sur le trottoir

Holà ! P’tit vélo !

Monique MERABET

Epilogue-bis: mon haïku a été publié dans "LA RUMEUR DU COFFRE A JOUETS" (Anthologie des Editions LIROLI) et mon haïbun publié sur 575 revue francohone de haïkus

Publié dans L'ART

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I
<br /> On suit le vélo, on le perd mais on te suit toujours. Oui, un art tellement délicat celui du haïku ! On veut toujours laisser croire que cela se fait tout simplement. Alors qu'il souvent l'enfant<br /> de mûres rélflexions.<br /> En tout cas, tu nous l'expliques bien.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci d'avoir partagé mon expérience d'écriture. Oui c'est vrai on croit souvent que le poème, le texte, le haïku.. créés relèvent de la génération spontanée. Ce n'est pas mon fait.<br /> <br /> <br />
B
Un petit bout de ton coeur est resté dans cette Provence où frissonne la lavande d'un mauve éclatant.Bises et merci pour cette jolie poésie!
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B
C'est vrai que le dernier est le meilleur.C'est très sympa de nous faire partager tes pérégrinations "haïkutiennes" sur le dos d'un parapluie.Bon vent au haïkutier!Bises!
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M
<br /> Pour toi Brigitte, j'ai secoué l'haïkutier...<br /> Il en est tombé cette belle journée de printemps; voici, pour les cinq sens::<br /> <br /> Battements d'aile/ du papillon bicolore/ je ne vois que bleu<br /> L'oiseau sur la branche/ je n'entends que son chant/ pas les notes<br /> Ce bleu onctueux/ au-dessus de ma tête/ envie de toucher<br /> Cerise aigrelette/ la saveur plus douce/ dans mon souvenir<br /> Mon pied de lavande/ il se parfume/ quand je l'arrose<br /> <br /> <br />