OUBLI (Brigitte LASCOMBE)
Le club Pat’ Pantin
vous parle
de
L’oubli
Avec
OUBLI
(Brigitte LASCOMBE)
O : on ferme les vannes.
U : un beau jour, les souvenirs s’effilochent.
B : bientôt, le puits sans fond de la mémoire se fermera à jamais.
L : libre comme l’air, on repart à zéro.
I : indifférence.
Oublier tout, jusqu’à l’indifférence. Et pourtant ! La perte d’un être jadis aimé peut elle vraiment sombrer dans l’oubli ? Je le croyais, je l’ai cru jusqu’à cet atelier d’écriture où l’oubli s’instaura sujet du jour.
Ah, l’atelier !
Comment ne pas se rappeler cette sorte de resto du cœur jouxtant le port ?
Régentée de main de maitre par une « Mireio » haute en couleurs et aux accents chantants, cette antre marine nous attirait dans ses filets une fois par mois. Nous, c'est-à-dire une dizaine d’écrivains en herbe, dont un seul homme, le pauvret !
Sous la bonne garde des ancres et coquillages qui habillaient les murs du sol au plafond, nous échangions nos recettes de mots.
Tournures de phrases, expressions imagées, adresses de concours, inscriptions aux fêtes du livre, les sujets de conversation ne manquaient pas. Et bien sûr, vers le mitant de l’après midi, comme des élèves studieux tirant la langue, nous planchions sur le mot du jour pioché dans un canotier par notre chef d’atelier « Mireio » au nom prédestiné qui l’incitait à nous servir du Mistral à toutes les sauces.
Ce jour là, l’oubli, tel une colombe s’envola de son chapeau magique. Une colombe d’après le déluge, celle qui offre aux nations son rameau d’olivier en guise de paix.
Moi, au début, la colombe, je la voyais pas trop.
Levant les yeux au ciel, en l’occurrence le plafond vermoulu qui se fissurait, suintant l’humidité de tous ses pores, je mordillais mon stylo( chiffrant à l’avance les travaux de rénovation en connaissance de cause, suite aux récentes réfections de mon petit chez moi).
A oublier dare, dare. Trop matérialiste !
Entracte digestif.
« Mireio », sourire dubitatif aux lèvres, tant le sujet lui paraissait ardu, passa dans nos rangs un plateau à la main. Thé, café, jus de fruits, madeleines ‘maison’ pour remonter le moral de nos pauvres neurones en panne d’oubli.
-La restauration, c’est plus ça ! lançait t elle toujours à la cantonade en appuyant ses dires de soupirs à fendre l’âme de tout un chacun.
Alors, par compassion, pour l’aider à joindre les deux bouts de ses fins de mois difficiles, nous l’aidions de nos cotisations et nous gavions comme de oies.
Tout en mâchouillant ma madeleine discrètement trempée dans un petit noir des plus serrés, Proust d’opérette, j’ai laissé, une fois encore, divaguer mon esprit sur les ailes des mouettes qui tournoyaient sans relâche autour des mats du port. De mouette en colombe, portée par le grand air du large j’ai ouvert une fenêtre sur un ailleurs, sur une autre salle de cours dont je ne soupçonnais plus la réalité.
Un intrus s’imposa sans crier gare. Troublée, interdite, je regardai l’impoli forcer ma porte sans autorisation. Un éclair zébra mon ciel serein.
L’oubli, c’était toi bien sûr. Sombre, sur la lumière crue d’un écran géant. Mes yeux piqués d’embruns à la recherche d’une échappatoire possible, ne saisirent qu’une page nue pour t’écrire, te décrire et te revivre enfin.
Partir, il me fallait plier bagage, me retrouver au calme seule avec toi, seule avec nous.
Prétextant un rendez vous médical urgent, je me levai brusquement, saluant à la va vite l’assemblée étonnée, claquant presque la porte au nez de notre cordée littéraire. Peu m’importait ! Titubante, larmoyante, je regagnai au pas de course ma voiture refuge, mon abri antiatomique pour fuir la violence du flot bouillonnant des sentiments qui émergeaient à nouveau.
Ton fantôme surgissait du néant pour se coucher sur le papier glacé et s’articuler autour de ma plume comme un polichinelle.
Bouchon à la dérive, je voguais entre les deux eaux de ma conscience pour harponner les souvenirs frétillants mais pressés de me fausser compagnie au moindre faux pas.
Ton image avançait à grandes enjambées pour me traquer.
Un homme grand, si grand, trop grand. Comme ces basketteurs un peu empruntés, gênés de leurs jambes et bras de sauterelles mais qui montent au panier avec une dextérité infaillible dés qu’ils touchent un ballon.
-T’as un coté extraterrestre, tu sais. Des yeux aigue marine qui me foudroient encore de leur brillance. La démarche chaloupée, texte en main, lorgnons au bout d’un nez d’aigle, tu te relis pour éviter les questions pièges, relever une dernière faute. Professeur Tournesol, perdu dans son aura de chasseur de diplômes, tu lèves la tête sans me voir, plante tes lunettes sur un crane quelque peu déplumé pour élever une voix éraillée de fumeur qui nous incite à nous assoir. Le stabilo court sur le tableau à la vitesse de la lumière, revient en arrière, dérape, reprend son envol. Et moi, comme un oisillon, bec ouvert, je bois sur tes lèvres en lames de couteaux des mots d’une limpidité toute scientifique,flot d’une source que rien jamais ne tarira.
Le flash est intense, bref, bien trop bref. S’est il d’ailleurs jamais rien passé ? Dans mon délire nous cultivions ensemble des orchidées, en soie violette, pourpre et blanche, comme une passion commune d’amants immortels.
Alors, comme un ultimatum, je me lance un défi :- Oublie, basta !
Opération à cœur ouvert. Anesthésie. Aseptie. Scalpel. Incision. Ligature. Plaie propre. Travail de pro. Plaie nette. Cicatrice invisible, imperceptible. Juste parfois, une douleur sourde, qui monte du plexus, inexorable, agrippe ma gorge pour me clouer au pilori. Sanglot. Obsession. Echec.
Inspiration. Expiration. Radio à fond pour te courcircuiter.
Les années passent. Ta voix devient brouhaha. Le bruit de tes pas se perd dans les couloirs, ta silhouette s’efface. Oubli.
L’atelier s’est dissous, lui aussi.
-Foutue crise a larmoyé « Mireio » en s’éloignant vers des cieux plus cléments. Les gens lésinent sur tout, alors pensez le superflu !
Au bout d’une autre année, oubliant mes essais littéraires, je me suis inscrite à un stage de sculpture. Autre lieu, autres connaissances. Dans un endroit magique près du Cap Brun, là où les roches se font grottes pour cacher les amours interdites, un ancien prof des beaux arts avait loué un cabanon aménagé( le temps d’un été) pour enseigner la terre à une poignée d’étudiants attardés. Attardés n’a rien de péjoratif, je le précise, mais la moyenne d’âge dépassait de loin la cinquantaine.
Tout s’est déroulé comme sur des roulettes, jusqu’au jour où, il a posé sur son bureau le buste de Voltaire.
-A vos marques prêts ! a clamé le bon monsieur, nous invitant à reproduire le plus fidèlement possible le modèle imposé.
La touffeur moite de juillet poissait sur nos mains enfouies dans la glaise. Le groupe était sympathique et appliqué.
Au bout d’un moment, il s’est approché de ma table, l’air un peu gêné pour me signaler :
-C’est pas trop ressemblant ça, jeune fille !
Merci pour le ‘jeune fille’ mais pour le reste, vus les efforts fournis, j’étais un peu dépitée.
Et alors là je t’ai vu, toi. Encore toi. Tu fixais tes traits acérés dans la terre et trônais sans vergogne sur mon établi !
-Bon, d’accord. J’ai compris. Jeté aux oubliettes, tu veux vivre au grand jour.
C’est pas trop possible ça. De temps en temps, pourquoi pas ?
Comme une lettre d’amour, j’ai rangé ton image, pieusement, dans un coffret précieux. Nostalgique, je la ressors parfois, la palpe, la sens, l’embrasse et la revis mais plus jamais ne l’oublie. Une passion est bien trop absolue pour se permettre de l’oublier.
Info Pat' Pantin: le prochain thème est LE SECRET.
Le club Pat' Pantin se réunira pour lecture le 22 Août 2009