Trois tankas d'avril

Publié le par Monique MERABET

Trois tankas d'avril

TROIS TANKAS D’AVRIL

 

D’une fleur à l’autre

pour capter aura d’abeille

mes doigts bien trop gourds

(pourtant du jasmin émane

un avant-goût de miel vert)

 

Ma main murmure au papier quelques lettres : lundi. Mon café embaumé de jasmin, buis de Chine refleuri.

Il doit y avoir des abeilles. Il y a des abeilles ! Trop vives pour que je puisse les photographier. Mon safari « mouche à miel » est un échec.

Le temps de butinage accordé à une fleur est bien trop court pour que j’arrive à zoomer sur ce satané smartphone. Comme je regrette l’époque des appareils photos !

Vieillir, c’est regretter… Non ? Un peu quand même surtout lorsque l’on se sent dépassé par les techniques nouvelles — vite ! Toujours plus vite ! — commandées par les I A.

 

Bandeau de ciel gris

zébré d’un réseau de câbles

martins en bataille

(surajoutant leurs cris rauques

au rameau de feuilles sèches)

 

Une trâlée de martins jacassant sur un fil, des gros, des petits… Le temps de choisir un beau cadrage, Pftt ! Ils se sont envolés ! Mon safari oiseaux n’a guère plus de succès que celui des insectes.

Bon ! Un tanka quand même…

Me contenter de ce qui passe, se défait, en une seconde ; glorifier l’arc-en-ciel d’hier enjambant la ruelle, à l’acmé d’un après-midi étouffant.

Ici, maintenant… Oh ! Cardinal !

 

Cardinal d’avril

un peu de rouge mêlé

aux fleurs de conflor

(Plaisir de fleurs et d’amour

Ne durent qu’une saison)

 

Le cardinal perdra bientôt ses teintes vives, et le conflor porte haut ses dernières crêtes. L’automne. Cette fois, je n’ai pas même le loisir d’allumer mon téléphone, l’oiseau s’en est allé.

Carpe diem et bis repetitat… Prendre ce que Nature nous offre au moment qu’elle a choisi à son rythme nonchalant. Ne pas rater le kairos qui arrive quand on ne l’attend pas.

Ah ! Si je ne m’étais pas installée sous la varangue ce matin, j’aurais raté tout cela. Trois haïkus, trois tankas.

Souvent je m’apprête à écrire un tercet et me vient l’irrépressible envie de commettre un distique entre parenthèses.

« Prolonger » un haïku pour en faire un tanka, est-ce sacrilège ? Ne dira-t-on pas que je n’ai rien compris, que chaque poème court a son essence propre ?

Certes. Mais le tanka (waka) n’a-t-il pas précédé le haïku, laissant le tercet s’en détacher, fragment devenu hakkaï, haïku ?

Est-ce erreur de vouloir remonter aux origines, penser un haïku puis lui adjoindre un distique ? N’est-ce pas ainsi que procédaient les poètes pour leurs suites de tankas, jeu littéraire couru chez les lettrés de la cour impériale nippone.

Écrire un tanka tout d’une traite, puis en extraire un haïku, est-ce méthode plus naturelle ?

Ou bien décider que nous avons affaire à deux entités poétiques qui ne s’interpénètrent pas, même si les deux se construisent à partir d’observation (le kigo, ma fille, ne pas occulter le kigo !) et d’une réflexion intime qui mène à l’ouverture, au pas de côté.

Oh, non ! Assez de barrières, de cloisons ! D’ailleurs les cloisons japonaises ne sont-elles pas en matériaux légers, bambou, soie, papier et ne sont-elles pas coulissantes, amovibles ?

Alors, je valide : trois tankas, trois haïkus… et le mystère de leur composition qui demeure secret.

Et en happy end l’abeille sur mon écran… alé di partou

 ébauche de haïku ?  ou quatrième tanka ?

 

(15 avril 2024)

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