Parcours poétique
RENCONTRE DES POÈTES DE L’OCÉAN INDIEN
(Samedi 23 Mai 2015, Mairie de Salazie)
Monique MERABET : Parcours poétique
Je suis née et je vis sur l’île de la Réunion et je suis très attachée à ces racines îliennes, ces racines créoles de l’Hémisphère Sud qui m’ont nourrie et fait de moi ce que je suis, ce que j’écris.
L’entrée en écriture, cela s’est produit pour moi en 1993 et la forme poétique s’est imposée naturellement dans mes premiers écrits ; j’ai découvert ainsi la possibilité d’exprimer ce que je ressentais grâce à la magie des mots.
Les premiers poèmes… On les garde comme trésors dans des carnets secrets, des feuillets qui s’accumulent au fond d’une armoire… et puis vient le désir de les partager : à quelques proches d’abord, public peu objectif mais qui m’a fait prendre conscience que je suis capable d’exprimer aussi ce que ressentent les autres, que j’appartiens à une grande chaîne d’humanité.
Et puis, l’ouverture vers l’extérieur. C’est un concours organisé localement à Sainte-Anne qui m’a offert cette opportunité avec mon poème primé et pour lequel j’ai gardé beaucoup de tendresse :
L’île floralies (extrait de Bouffées entremêlées)
L’île floralies n’est qu’un jardin de pierres
Béton ! Béton ! Béton !
Des sommets au battant des lames de la mer
Béton ! Béton ! Béton !
Et j’ai continué avec d’autres concours organisés un peu partout en France : participer à un concours, c’est l’occasion de se confronter à d’autres écrivains de poésie, à voir ses propres productions évaluées, critiquées parfois appréciées par un Jury plus ou moins exigeant. J’ai obtenu uelques prix dont ce recueil publié en 2001, Danse avec la nuit, poèmes pour chanter les mystères et les charmes de la nuit qui me fascinent toujours.
En 2006, ces Balades à dos de nuage, publié aux Editions L’iroli, petite entreprise de Beauvais : des poèmes écrits pour la jeunesse et enrichis d’une adaptation en créole avec la collaboration de Huguette Payet.
Parallèlement à mon activité poétique (depuis 1993, je n’ai pas arrêté d’écrire, naturellement) j’avais un métier : professeur de Mathématique. et ce sont les grandeurs et servitudes de ma mission d’enseignante qui m’ont poussée à écrire ces Mathifolades publiées en 2008 par L’iroli : des textes légers, souvent humoristiques, mêlant de sérieuses bases mathématiques à la fantaisie d’une fable…
Partage (extrait de Mathifolades)
Trente-six souris affamées
Lorgnaient un gâteau alléchant,
Se trouvant fort embarrassées
De le fractionner équitablement.
Deux rats musqués, chevaliers d’industrie,
Associés en friponnerie
Se présentèrent : clercs de justice !
Et offrirent leurs bons offices.
Laissez-nous faire, dit le plus gros.
Je prends la moitié du gâteau ;
Et mon frère, subséquemment,
Aura la moitié du restant.
Ensuite, toute la compagnie,
De même sorte, sera servie,
Puis on revient à des sujets plus graves comme Mésattente, en 2010, pour parler de la mort, de cette fin de vie inéluctable et souvent redoutée. Mais les textes qu’elle m’a inspirés n’ont rien de morbide puisqu’ils sont souvent déclinés sur le mode de la dérision… ou de la tendre mélancolie comme ce chant :
Lorsque viendra la dernière fois … extrait de Mésattente
Lorsque viendra la dernière fois
où je dirai « Je t’aime »,
je ne le saurai pas, je ne le saurai pas.
Aucun soupir d’adieu, aucune larme suprême
ne béniront la grâce du dernier baiser.
Et quand le rossignol de la dernière nuit
égrènera ses trilles,
je ne le saurai pas, je ne le saurai pas
que s’éteindront ainsi tous les chants de la terre
et de l’amour, sans bruit.
En 2010 toujours, deux recueils publiés chez SURYA Editions
L’arbre chanson recueil de poèmes sur les arbres d’ici et d’ailleurs, illustrés par des photos de Yasmine Sartre. Les textes de cet ouvrage ont été pour la plupart récompensés par la Prix Max Jacob, décerné par la Société des Poètes Français dont je suis sociétaire.
Et L’île du non-retour, ouvrage qui me tient tant à cœur puisqu’il parle de marronnage, ma façon à moi d’évoquer cette période douloureuse de notre histoire réunionnaise mais aussi une sorte de quête identitaire sur les chemins de nos origines.
L’âme marronne (extrait de L’île du non retour)
Que reste-t-il de toi, Censée, =o mon âme marronne?
Que reste-t-il de ta rebelle essence dans mes gènes colonisés?
dans mon cœur sans désir qui plus même ne s'étonne
de voir l'amour bafoué.
... une matitude sur ma peau, quelques crêpelures indociles dans mes cheveux,
des mots chantants qui affleurent mes lèvres,
signes de reconnaissance qui scellent mon appartenance à cette terre d'asile, à cette terre d'exil,
et bien entendu, la Vie! Cette Vie transmise par l'escale de tes entrailles meurtries.
Censée, aïeule présumée, à peine nommée d'un ersatz de nom de baptême:
Censée Stanilas-dit-Lechat
Ainsi donc mon histoire familiale s’insère dans celle de l’île. C’est d’ailleurs une de mes nièces qui a fourni les illustrations.
Quant à la forme que revêt mon écriture poétique, elle a bien entendu, évoluée. Si au début, j’ai tenté d’imiter la poésie régulière, rimée, celle des grands poètes étudiés au lycée, j’ai vite adopté une forme plus libre, mieux apte à exprimer mes ressentis, mes sentiments, mes émerveillements, mes indignations…
Et depuis une bonne dizaine d’années maintenant, je me consacre aux formes courtes, très courtes mêmes puisqu’il s’agit du haïku. Petit poème qui s’exprime en trois lignes et dix-sept syllabes, il est d’origine japonaise mais pour moi, il s’ancre dans mon quotidien réunionnais : il exprime les instants vécus ici sur cette île, il se fond dans l’environnement de mon jardin créole. Mes haïkus figurent dans des anthologies, des revues, sur mon blog (http://patpantin.over-blog.com) , parfois en version bilingue français/créole.
En 2012, j’ai été publiée dans cet ouvrage 3 feuilles sur la treille avec deux autres co-auteures, une îlienne de l’île de Ré et une canadienne. La sélection des haïkus a été faite par l’éditrice de L’iroli. Voici un échantillon de mes tercets :
En feuilletant 3 feuilles sur la treille
visite à ma mère
un papillon blanc volette
de tombe en tombe
le pique-nique
chacun apporte sa marmite
zanbrokal et zanbrokal
l'ombre sur le mur
elle ne dit pas si
la papaye est mûre
Trois courtes lignes donc qui en disent souvent plus qu’un long poème puisqu’il est à partager avec le lecteur, il lui laisse porte ouverte pour ses propres ressentis. Il ouvre aussi pour moi, sur une sérénité, une sagesse de l’ici et maintenant, sur une certaine spiritualité, vers ce qui peut transcender notre matérialité.
Mais n’est-ce pas l’objectif de toute poésie que ce dépassement, cette quête d’un absolu qui nous permet de vivre pleinement notre passage sur cette Terre qui est « quelquefois si jolie » comme dirait Prévert.
(Monique MERABET, 22 Mai 2015)