Tant à partager
TANT À PARTAGER
Maugréer le ciel gris ?
comme moi, ne sens-tu pas
le pétrichor* ?
*l’odeur particulière que prend la terre après la pluie
Boîte aux lettres vide
fleurs mauves au matin
devenues blanches
Les fleurs du franciséa (un jasmin d’Inde) changent de couleur suivant le moment de la journée.
Liane fouet
cloisonné de fleurs bleues
au balcon
Bâillement
encore plus lève-tôt
les moineaux attendent
C’est l’effet haïku qui m’incite à ne rien rater des bonheurs du jour. Voilà qui me permet de répondre à cet article paru dans le bulletin de la Société des Poètes Français et qui demande : « La poésie française avait-elle besoin du haïku ? (Les haïkus étant par ailleurs qualifiés de « ils ne sont pas de la poésie », « vers de mirliton », « tout au plus une amusette »).
Poésie…
Oui, le haïku est poème, vecteur de Poésie. Pas la Poésie réduite à sa tradition française, mais la poésie tout simplement, la seule qui vaille, poésie des sens, poésie du sens. Celle qui nous ramène à la profondeur de l’être, au sacré. Celle qui nous incite à nous ouvrir au monde vivant, à en reconnaître les mystères et les beautés, à nous forger une espérance de partage et de fraternité. Pas uniquement dans la tragédie humainement partagée du partir.
Tous les hommes sont mortels, certes, mais tous les hommes sont aussi dotés de sens, possèdent la capacité de ressentir. Et le haïku me les rend plus proches, plus semblables.
« Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère » disait Baudelaire, Poète Français, s’il en fut, dressant une liste en dix quatrains d’alexandrins des turpitudes humaines.
Le haïku prétend, lui, que nous avons bien autres choses que « la sottise, l’erreur, le péché, la lésine » à partager. Que nous avons tant de joies à mettre ensemble, tant à voir, entendre, sentir, toucher, goûter ensemble…
Le haïku montre un chemin de poésie qui n’est ni lamentations, ni rancœur, ni haine. Peut-être serait-il salutaire à certains esprits chagrins de l’emprunter. Ils seront sûrs de m’y croiser.
Parlez-moi de fleurs, de feuilles ou d’oiseaux et je vous ouvre mon âme poétique.
(Monique Merabet, poète, haïjin à mes heures qui ne sont pas des moments perdus)