Requiem pour araucaria
REQUIEM POUR ARAUCARIA
Bruit de pelleteuse Dézord buldozèr
écrire encore une fois bann mo pou rorakonté
l’araucaria est mort défun piédboi
Faut-il décrire le vacarme, les grincements, les coups de boutoir, démolissant, abattant ? Faut-il écrire que pour le bel araucaria, il est trop tard ? Où iront chanter bulbuls du matin ?
Autrefois — il n’y a pas si longtemps — on s’achetait un terrain afin de pouvoir planter quelques arbres enchâssant sa maison, la protégeant du kèr solèy. Aujourd’hui, il s’agit de rentabiliser, d’optimiser l’île à superficie limitée, non extensible. Hauteur et superficie à la limite des coefficients d’urbanisme licites. Tant pis pour les oiseaux !
Nous avons tous vu disparaître en gravats le jardin d’en face, la maison d’à côté. Je sais, je sais. Ils ne manqueront pas aux enfants qui ne les auront pas connus. Ils trouveront normal de s’enfermer derrière des grilles cadenassées, entrées triplement codées ; ils se contenteront de quelques buissons de plantes à la mode, vite arrachées à la demande expresse et unanime des copropriétaires : navé tro pusron ma fiy !
Jardins abandonnés, défigurés, oubliés, à vous je dédie ce poème ; un conte australien me l’a inspiré :
LE SECRET DES FLEURS
Comme elle était jolie la terre en ce temps-là !
Comme elle était jolie !
Jardin épanoui
Une planète-fleur
Corolle de bonheur !
Et les dieux s’y plaisaient,
Couronnés de pétales,
Et les humains chantaient
Le soir, sous les étoiles.
Il a suffi pourtant qu’un jour sonne le glas…
Il a suffi pourtant
D’un accord dissonant !
Quand la haine, la peur,
Envahirent les cœurs
Les fleurs s’étiolèrent
Comme l’esprit qui s’endort
Et les dieux désertèrent
La vallée de la mort.
La Terre dénudée apparut sans éclat !
La Terre dénudée
En désert, fut changée.
Plus la moindre fleurette
Pour parer son squelette,
Plus de teintes moirées
S’échappant des pétales ;
Plus de rires, de gaîté,
Le soir sous les étoiles.
Les lamentations montèrent avec fracas !
Les lamentations
Et les supplications !
Les dieux importunés
Firent, pour avoir la paix,
Don de manne et de miel
Assouvissant la faim
Mais le deuil éternel
Des fleurs ne tarit point.
Les hommes insatisfaits, en quête de la joie…
Les hommes insatisfaits
Jusqu’aux dieux sont allés :
Nous avons soif aussi
De rêve, de poésie…
Offrez-nous les couleurs
Et les parfums ombrés
Par la grâce des fleurs
Qui nous rend plus légers
Quand l’Esprit bienveillant, sur la Terre souffla…
Quand l’Esprit bienveillant
Fit renaître un printemps
De corolles arc-en-ciel
Comme un pacte du ciel,
Les calices nacrés
Délivrés, refleurirent.
Hommes et dieux apaisés
Retrouvèrent sourire.
Quand nous n’avons plus que des mots…
(28 janvier 2021)