LE SECRET (XI)

Publié le par Monique MERABET





(images Flickr)

          SECRET D’OUTRE TOMBE

( Brigitte LASCOMBE)

 

 

En cette presque fin de Toussaint, le soleil jouait encore à cache-cache avec les parterres de chrysanthèmes et de cyclamens.

Les touches d’or, de parme et de  pourpre ponctuaient les allées de messages affectueux.

Comme chaque année, je venais rendre visite à mon père, paisiblement endormi en ces lieux.

 

  Soudain, les éclats d’une forte dispute cisaillèrent net l’émergence de mes souvenirs.

« Qui donc osait troubler ainsi la quiétude ambiante ? »

A la fois intriguée et irritée, je me glissai derrière un angle mort encadré de cyprès.

Dépassant d’une bonne tête un bosquet touffu, une sépulture orgueilleuse cachait sa nudité sous des feuilles d’acanthe fraîchement scellées. Un ange en albâtre, assis nonchalamment sur son rebord me narguait l’œil pétillant.

« Ce galopin se moquait sans doute des cris échangés au sous sol. »

Car la bruyante altercation provenait bel et bien des entrailles du tombeau.

A lire les plaques gravées, logeaient ici neuf individus dont un locataire très récent.

D’un coup, sous mes yeux ébahis, se matérialisa comme par magie, la famille au grand complet.

 

  A l’arrière plan, assis sur un tabouret de guingois, l’oncle Jules en bras de chemise et panse rebondie, jouait du violon. Le musicien stoppait parfois la course de son archet pour remonter ses bretelles. Un couac strident retentissait alors pour soutirer quelques lamentations à la tante Antoinette.

-Arrête un peu d’interrompre mon ouvrage avec tes fausses notes ! Tu me déranges à la fin !

Air bon enfant, mais aiguille agile, la tantine couvrait de pétales tourbillonnants un napperon.

 

  Au centre, les papés Firmin et Auguste chiquaient en tapant le carton.

Leurs épouses respectives :Olga et Justine, ridées comme des pommes reinettes papotaient.

 

  Et, cause du vacarme, en première ligne, un trio infernal(une femme et deux hommes surexcités)s’invectivait, n’hésitant pas à citer les autres à la barre des témoins.

 

  La scène était burlesque, ubuesque même, car le fantôme féminin arborait un déshabillé de soie vert d’eau qui mettait en valeur ses formes plantureuses.

 

  J’en avais presque le tournis, tant sa bouche cerise et sa chevelure flamboyante sonnaient comme un blasphème.

Le mari jaloux, un moustachu ventripotent, au teint couperosé de préposé aux crises cardiaques s’offusquait des regards appuyés qu’elle jetait de temps à autre vers la tombe d’en face, celle de l’ancien fiancé tué par un obus.

Elle, elle défendait son honneur bec et griffes en avant.

Le fils, Pierre, le troisième larron et nouveau locataire des lieux, s’interposait sauvagement.

C’était un bel homme, mais son visage taillé à la serpe témoignait d’anciennes blessures, celles du secret, celles dont il n’avait même pas conscience, celles d’une famille déchirée, celles qu’un simple mot allait me révéler.

 

-Je suis là, depuis un jour à peine, me confia le quinquagénaire d’une voix triste.

Ma hargne, depuis ma naissance, n’a eu d’égale que ma fureur de vivre. Seul, mon cœur a failli. J’ai défié les « faiseuses d’anges » et leurs aiguilles à tricoter au grand dam de ma mère dont les douleurs de l’enfantement se mêlèrent à mes cris anticipés.

 J’avais déjà tout faux, ressemblant trait pour trait à mon pépé « Firmin le facho » accusé d’avoir côtoyé les boches d’un peu trop près.

 

Le pépé interpellé, sortit de sa léthargie, et, piqué à vif traita son petit fils de sale morveux.

Mémé Olga calma son homme d’une bourrade dans les côtes, envoyant valdinguer les cartes  par la même occasion.

 

-Puis, reprit mon interlocuteur d’une voix de bête traquée, j’ai pris l’habitude, lorsque les disputes avec ma trop brillante cadette viraient au vinaigre, de pousser mes jeux jusqu’à l’étouffement.

Je voulais à tout prix capter l’attention des adultes. Mon père multiplia les taloches, puis, de guerre lasse, finit par m’écarter le plus possible du chemin familial. Pension bien sûr. Mais vacances aussi, juste compensation, chez ma tante Antoinette en mal d’enfant. Là, je peux le dire, j’ai connu l’amour.

 

La dite « Antoinette » approuva, d’un regard dédaigneux vers le « déshabillé de soie » qui l’ignorait complètement.

 

-De retour à la maison, exaspéré par l’indifférence des miens, j’ai ensuite enfreint la loi. Ma génitrice, aussi sournoise que la « Folcoche » d’Hervé Bazin, notait scrupuleusement la moindre de mes incartades, et le soir, lisait son rapport lisait son rapport à son notaire de mari qui veillait au grain à grands coups de ceinture. « C’est l’hérédité ! » suspectait la belle famille.

Bref, je filais du mauvais coton. Forcissant et grandissant à vue d’œil, Monsieur mon Père, respectable et respecté préféra sauver in extrémis mon casier judiciaire en me procurant un emploi subalterne de gratte-papier dans son étude.

La chance de ma vie, je l’ai saisie, avec Clarisse aussi belle que douce qui m’a donné deux adorables « loupiots ».

Et me voici ici, un trop court bonheur ! Je me suis effondré d’un coup. Pouf ! Suite à une sordide histoire d’héritage avec ma sœur.

 

  A côté, la dispute n’avait pas cessé, mais les langues se déliaient.

Le mari venimeux traitait sa femme de traînée. La belle mère, Justine, qui avait toujours détesté sa bru, renchérissait d’un « femme de petite vertu qui a fait Pâques avant les Rameaux ». La tante Antoinette, grenouille de bénitier, se rangeait à ses côtés. Jules et Firmin « le facho » ressassaient leurs vieilles querelles politiques.

Pierre essaya bien d’intervenir d’un : « respectons le silence du lieu ! » mais un « BATARD ! » venu d’on ne sait où, le cloua sur place de sa flèche empoisonnée.

 

  «  C’était donc ça, l’histoire du fiancé tué par un obus ! »

Il chancela, touché au plus profond de ses entrailles.

Les autres, honteux, s’éclipsèrent.

 

  Soudain, comme par enchantement, tintèrent dans la contre allée de petits bruits de pas joyeux. Deux blondinets arrivaient en courant.

-Un peu de tenue, voyons ! intima leur maman quelques mètres en arrière.

Les bras chargés d’un jeune olivier en pot, d’une pelle et d’un sac de terreau, ils riaient sous cape du bon tour qu’ils allaient jouer à la famille désunie.

« Faut pas leur en vouloir, l’absence n’a pas encore cheminé et creusé jour après jour son sillon profond. »

Chacun s’activait pour planter ce symbole de paix aux pieds du tombeau.

Pierre, rasséréné par ce geste d’amour aussi doux qu’un « je t’aime », les observa un instant, sourire aux lèvres, puis tourna les talons pour regagner ses pénates éternelles.

 

  A l’heure où le soleil tirait sa révérence aux parterres endormis, gênée d’en avoir trop appris, je me suis moi aussi retirée sur la pointe des pieds pour rendre visite à mon papa.


 

 

Publié dans LE SECRET

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B
Ah ça c'est encore plus gentil! Surtout que le pauvre,le cimetière étant à 250 km je ne lui rends visite qu'une fois l'an.Bisous
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B
Coucou Moniquetu as très bien choisi les photos.Bisous!
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M
<br /> Les chrysanthèmes de la fin, c'est pour ton papa. J'aime les chrysanthèmes. Ce sont des fleurs de vie et de joie.<br /> <br /> <br />
N
chère Monique, je trouve enfin ton blog, j'ai lu le secret et l'intervieww avec liroli; bravo pour tout cela ça me fait plaisir de me trouver sur ton site. je n'en ai pas encore , je ne sais pas faire. as-tu reçu ma dernière lettre et mes textes. On rentre de vacances et je reprends bientôt mes activités. bien des choses; Marie-Noëlle
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M
<br /> Marie-Noëlle, je suis ravie que tu aies trouvé le chemin de mon blog. J'ai bien reçu ton dernier envoi et je te réponds bientôt.<br /> Si tu as un texte sur le secret je me ferai un plaisir de le publier.<br /> <br /> <br />