Chemins capucine
CHEMINS CAPUCINE
Vol d’oiseaux blancs
invitation au voyage
pour mon stylo
Il y a beaucoup de mouvements d’oiseaux ce matin dans le ciel. Ballet des V qui dansent dans l’azur sans tache : V comme vacance, V comme voyage, V comme vavangaj
Davantage d’oiseaux, moins d’avions – l’effet rentrée - dans mon ciel de jour. J’y gagne largement au change. Je voyage plus haut, plus loin, à dos d’oiseau ou de nuage.
Je voyage plus beau, vers les libres chemins de mon enfance capucine.
Fauve, carmin, rubis, opale, tango, les capucines déferlaient sur les talus, le long des chemins qui serpentaient au milieu des chants de canne, cascadaient en gouttes de flammes se mêlant sans état d’âme aux autres lianes.
Ah ! Les cueillettes, les dînettes de cinq petites filles qui jouaient tikaz dans l’éternité du temps arrêté des vacances d’été. Le petit bois d’acacias – ou plutôt d’une variété de mimosa… allez savoir avec la fantaisie créole ! – nous servait de village. Chacune avait sa « maison » délimitée par quelques grosses pierres, sa marmaille de poupées, et tout un ménage tiré des vaisselles miniatures reçues en cadeaux de Jour de l’An, lesquelles s’enrichissaient d’une vraie tasse ébréchée, d’un flacon au bleu mystérieux de fleur d’oranger, d’un plat émaillé ornementé de pivoines naïves que l’une d’entre nous avait subtilisé au bahut familial. On se rendait visite, on s’invitait à des festins : fleurs et feuilles de capucines, petits grains bleus de galaberts que nous laissaient les martins, salades de pêches de maraude encore vertes – la seule façon de les consommer car elles étaient véreuses – et l’ « eau sucrée » préparée avec les pelures de l’ananas dégusté au gouter. Saveurs inégalées qui me reviennent aux lèvres par la magie des mots-souvenirs. On imitait les grandes personnes. « Rèss dormir, ma fiy », disait une des cousines, « ma tir mon ti matla pou ou »* jeu initiatique de notre future sociabilité.
Capucines dëor
toutes du même jaune
comme sur le paquet
Rouge garance, rouge coquelicot, crème, ivoire, jaune soleil, étaient les capucines dont nous allions fleurir la vierge proche de chez nous. En ce temps là, les familles qui en avaient le moyen, offraient un bout de terrain pour la construction d’un oratoire : une minuscule esplanade à laquelle on accédait par une volée de marches, une niche avec une grande statue de la vierge en robe bleue. Les passants ne manquaient pas de l’honorer d’un signe de croix, d’une halte pieuse et nous y déposions nos bouquets chatoyants chaque jour renouvelés.
Au bord des chemins réunionnais, on rencontrait souvent des oratoires plus petits, une petite case en tôle rouge, renfermant quelque vague « divinité », souvent un Saint Expédit à la réputation sulfureuse. : un de ces saints péi forgé par la kroyans réunionnaise mêlant les saints catholiques aux divinités indiennes. Ces « petits bondieux » étaient révérés et pouvaient servir d’artefact à maints cultes syncrétiques, frôlant les mondes interdits de la sorcellerie, des envoûtements… naturellement, nous nous tenions à l’écart de ces statuettes impies au regard de la religion établie. Mais personne ne s’avisait de les enlever non plus, peut-être par peur des conséquences maléfiques, peut-être aussi par tolérance de notre société aux croyances métissées, à l’image du peuplement de l’île.
En tout cas, si nous n’y déposions aucune offrande, ces petits bondieux n’ont aucunement assombris mes chemins de vacances jalonnés de fleurs lumineuses et de rires.
Jaune fleur ou jaune feuille
la capucine de Septembre
hésite entre saisons
(Monique MERABET, 5 Septembre 2013)
*Reste pour la nuit, je vais sortir mon lit d’appoint