Chapeau (10)

Publié le par Monique MERABET

 

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                                              (image Flickr)

 

Mes chapeaux et ce qu’ils m’ont appris.

(Huguette PAYET)

A chaque âge ses chapeaux.

 Il m’a fallu les porter, même si je préférais mille fois aller tête nue, pour sentir le vent dans mes cheveux et le soleil sur ma peau. Mais le soleil des îles est impardonnable et les insolations, chez les enfants surtout, sont mortels. J’entendais souvent maman répéter ces paroles. C’était la voix de la raison car il n’y avait aucune crème protectrice à cette époque. Pour nous aider à les accepter, maman mettait de beaux rubans à nos capelines  de paille finement tressées localement, qu’on s’efforçait de porter deux fois par jour sur la longue route de l’école primaire que l’on faisait à pieds. De plus, nous avions aussi l’appréhension de l’eau vinaigrée dont maman tapotait les coups de soleil de l’un ou l’autre imprudent de la fratrie. Si on ne voulait pas subir le même sort, on savait ce qui nous restait à faire. Quand on sautillait un peu trop, cette capeline malheureusement,  nous tombait sur le dos et, du coup, son ruban nous gênait la gorge. Raison de plus pour la remettre en place assez vite. A l’école, on  la déposait sur une grande table en bois et on la reprenait à la sortie de quatre heures. Pour la journée on avait l’ombre des arbres  de la cour de récréation pour sauter à la corde ou jouer à la marelle et le grand préau à l’avant des classes, pour nous reposer en nous racontant nos petites histoires, ou partager les fruits mûrs de notre jardin que nous apportions le matin dans nos mini tentes-couvertes, en vacoa. Une fois vieilles, ces capelines servaient à vanner (attiser) le feu de bois dans la cuisine.

A l’école, un drôle de bonnet nous attendait parfois : le bonnet d’âne. A sentir le chagrin de celui ou de celle qui le portait quand il avait mal fait son travail, je pleurais tout bas comme si je le portais moi-même. Je ne trouvais pas juste qu’Albéric, mon voisin, le portât si souvent. Ce n’était pas de sa faute s’il ne comprenait pas ce qu’expliquait la maîtresse. Si un jour j’étais maîtresse d’école, comme je le souhaitais, je ne ferais jamais cela. Je le pensais secrètement, bien sûr.

Pas de danger donc, tant que les interdits et les obligations étaient justes. On ne faisait pas n’importe quoi, sinon c’était à nos risques et périls.

Le chapeau de messe qu’on ne portait que le dimanche était rangé tout de suite au retour de la messe dans une boîte à chapeaux. Ces  chapeaux sortaient de l’ordinaire et venaient  en général de France. On nous les achetait dans les magasins de St Denis. Maman les agrémentait de beaux rubans de satin et de petits bouquets en tissu, qu’elle cousait sur un côté entre fond et rebord. Les chaussures de messe étaient re-cirées le lendemain et mises en lieu sûr. La robe de messe, lavée et repassée avec soin, retrouvait son cintre jusqu’au dimanche suivant.

Le gaspillage était inconnu chez nous. Nos objets devaient durer longtemps. S’ils étaient encore en bon état quand on avait grandi, ils allaient aux plus jeunes de la fratrie.

Pour les petits bonnets en toile molletonnée que nous avons tous portés, bébés, nous n’avions bien sûr pas voix au chapitre. Aucun bébé n’y échappait. Au lavage ils devenaient de plus en plus doux et ils étaient efficaces pour que nos minuscules oreilles ne risquent  pas d’être décollées plus tard. Quand le tissu se faisait rare pendant la guerre, on les réalisait en choka  (agave ) dont on blanchissait les fibres avant de les crocheter. A défaut d’être sans doute moins doux, ils restaient aussi efficaces que ceux en tissu et ils étaient si beaux.

Le ’’petit baba’’ était en général l’objet de soins particuliers et vivait d’amour et de lait, même dans les milieux très humbles, où sa mère se privait souvent pour lui.

Les jours de fêtes, ceux des mariages surtout, nous avions de beaux habits en organdi avec des jupons en taffetas. Les couvre-chefs allaient de pair. Des sortes de béguins, agrémentés d’un volant froncé, taillés dans de l’organdi qui piquait un peu la tête, soutenu par des petits fils de laiton. Nos anglaises, réussies grâce aux papillotes posées la veille, tombaient en cascade sur nos épaules autour des béguins. Nous étions comme des princesses, ma sœur et moi.

 Maman terminait notre habillement en disant qu’il fallait souffrir pour être belles.  Je ne pensais pas tout à fait la même chose. Mais je savais apprécier les choses rares à leur juste valeur.

Pour ma communion solennelle, j’étais très gênée de mon accoutrement recherché. J’avais alors onze ans et je ne me sentais pas à mon aise en bonnet, aumônière,’’ robe de mariée’’, comme j’avais surnommé ma robe longue, tenant cierge de cire orné de ses fils argentés. C’était trop, surtout que mes parents avaient encore des dépenses à faire pour un proche voyage en France.

 Trop de faste. Je n’aimais pas cela. Une robe courte m’aurait suffi. L’enseignement qu’on m’avait donné ne collait pas à ce que je voyais. Quelques années plus tard, l’arrivée de l’aube avec son capuchon pour tous ne combla qu’en partie l’indignation qui fut mienne à ma communion solennelle.

Je ne pourrais pas passer sous silence l’occasion qui m’a été offerte de porter à quinze ans une charlotte en satin rose lors du mariage de mon oncle à  l’île Maurice. Nous étions deux, ma sœur et moi, à porter exactement la même tenue en tant que demoiselles d’honneur du cortège.

 Sous les regards de gens que nous ne connaissions pas, nous étions comme des mannequins qui défilaient. Même génuflexion  à faire devant  l’autel,  retour synchrone par la grande nef. Sans doute les coutumes de l’endroit. Et nous étions les invitées.

Je termine ce défilé de chapeaux que j’ai portés pendant ma vie par le seul chapeau que j’ai choisi moi-même et que j’ai  porté avec bonheur, un tout petit bibi bleu et sa voilette discrète à travers laquelle j’ai eu la très grande joie de voir le mariage de notre fils aîné. Un chapeau spécial que je ne porterai pas une seconde fois.

Soudain, ne voilà t-il pas que mon feutre noir dégringole de mon étagère !

-‘’Hé, dis donc, tu m’exclus Guéto ? On oublie ses amis ?’’, semble t-il me dire…

Mon chapeau de feutre noir !  Le chapeau de l’homme par excellence, qui le soulevait respectueusement à l’angélus,  mais  que la femme portait dans la cour quand il était usé. Il finissait en patins sur le parquet encaustiqué. Toutes les couches sociales  l’ont porté. Il est un lien affectif tendu entre mon passé et mon présent, ma part de rêve.

 

 

 

   

 

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