Dimanche, on tourne... les pages (31)
CHUT !
(Jean-Marie Gourio)
Un roman publié en 1998… et que je garde dans ma bibliothèque depuis au moins une décennie. Chacune de mes lectures a une histoire.
Il est rare qu’un livre dont je tourne avidement les pages soit lu par devoir, dans le but d’en faire une chronique sérieuse pour lecteurs sérieux. J’ai le bonheur de lire de façon libre et décontractée. Le livre me plaît, je le dévore jusqu’au bout ; le livre me fait bâiller, je le pose et je suis un chant d’oiseau.
Voilà pour le principe. Dans la réalité, il arrive aussi – et, c’est tant mieux ! – que mes neurones lecteurs vagabondent, oscillent entre « i ral amoin », « i rale pa moin dïtou »…
Comme pour ce roman « Chut ! » de Jean-Marie Gourio qui a traîné longtemps, longtemps ici ou là sur une étagère avant que je me résolve à le lire jusqu’au bout. Il m’a été offert comme prix (de consolation ?) à je ne sais quel concours de poésie ; ce qui, en général n’augure rien de bon de la qualité du livre, les organisateurs de concours et leurs généreux mécènes les libraires (celui-ci offert par la librairie « La nuit des rois »… d’où ?) n’hésitant pas à refiler leurs invendus.
Alors ce livre est passé de la pile de « livres à lire » à une étagère de « livres à lire plus tard » au fond d’un placard ; il a échappé de justesse à mes quelques velléités de « débarrassons-nous de ce livre inutile » et il est revenu par miracle sur le devant d’une rangée lorsque j’ai remplacé mes vieilles étagères branlantes ; il est resté là, petit fantôme (sa couverture est blanche !) tentant vainement d’attirer mon attention. Mais aussi, on n’a pas idée de titrer un livre « Chut » : c’est comme si on y apposait la mention « ne tourne pas les pages ».
Ce qui aurait pu d’ailleurs faire un autre titre possible à l’ouvrage puisque le héros du roman est un non-lecteur qui, par amour, s’adonne à un tournage de pages ostentatoire. Forcément, comment plaire à une bibliothécaire, sinon en lisant (tout au moins en faisant semblant) et même… en achetant un livre ?
Le livre ou plutôt la façon de se livrer à la lecture est, en fait le sujet du roman et donc, il aurait dû me soulever d’enthousiasme. J’ai exulté aux premières pages de la rencontre de l’ex para et de la bibliothécaire autour de Ponge ou de Kafka. Et puis, ce délire verbal de J-M Gourio, mêlant les situations les plus triviales aux références les plus érudites, cela a déclenché en moi une réaction en dent de scie, entre jubilation et agacement. J’ai failli abandonner ma lecture je ne sais combien de fois et puis, je l’ai reprise page après page sans en sauter une seule. J’ai parfois jugé les situations trop canularesques, in vraisemblables, outrées.
Mais ce qui reste, c’est cet hymne fantastique à la lecture, cet hommage au livre (papier, bien sûr ! l’autre, le numérique n’avait pas encore été inventé), cette foi en « lire, c’est vivre ». Et puis ces remarques incisives sur le lien entre la lecture et le corps du lecteur. Comment n’aurai-je pas craqué à ces passages que je cite pêle-mêle :
« Si la lecture des livres provoque le ramassement du corps, l’individu tout entier se coule en lui, par la main qui devient livre ou bien le livre qui devient chair… »
« … il y a de l’absence dans cette silhouette immobile et tranquille, comme un bruit de ce qui est lu, peut-être, le corps devient silence…. »
« Les livres sentaient bon la colle, l’encre et le papier. »
« … Mathilde les touchait avec beaucoup de douceur, elle les étiquetait et les rangeait comme si c’étaient les souvenirs fanés d’anciens bonheurs. »
« … elle avait ramassé la plume dans le sable, l’avait secouée contre sa cuisse blanche pour en faire tomber les grains et puis elle l’avait sentie comme on sent une fleur avant de la glisser dans le livre doucement… »
Et puis, voilà, l’héroïne du livre s’appelle Mathilde. Mathilde… Mathilda, ce délicieux roman jeunesse de Roald Dahl : une petite fille qui… Mais, chut ! Je vous en parlerai sûrement un autre dimanche. Suivons plutôt le conseil de notre bibliothécaire :
« Et si on allait acheter des livres ? »
(Monique MERABET, 4 Août 2013)