Mot de saison

Publié le par Monique MERABET

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MOT DE SAISON

 

 

 

Pourquoi y a-t-il des feuilles jaunes aux liserons, au benjoin, au petit évi ? Saison contrariée… Et ce plant de bois de corail qui a dépéri subitement, se dépouillant de ses belles feuilles ciselées. Cela ne me semble pas naturel en plein cœur de notre été austral.

C’est vrai que chez moi, sur cette île au caractère si particulier on s’y connaît en mélange de couleurs, de fleurs de fruits de feuilles et de branches offerts en même temps, à l’unisson d’une espèce d’unique saison fourre-tout qui aurait un penchant prononcé pour une infinité de microclimats. Avec parfois un côté surréaliste comme cette averse de grêlons du côté des Makes aujourd’hui. La grêle aussi nou néna

Mais comment dit-on grêle en créole ? kanète la glass ? sorbé lo zanj ? zëf ti poul lalaska ?  zékli la Glacière Madame Desbassyns ?

Mes saisons se dédoublent aussi lorsque je souhaite écrire un haïku et je me retrouve souvent en porte à faux vis-à-vis du fameux kigo autrement dit mot de saison. Mais quelle saison dois-je évoquer ? Mon âme métissée des quatre horizons s’émeut de cette notion intraduisible dans mon univers.

 

Dans le romarin                                          Dann touf romarin

un cardinal me siffle                                             in mal rouj i sif a moin

peut-être un kigo ?                                      kèl sézon i lé ?

 

Pour parler franchement, l’emploi obligé du kigo m’agace prodigieusement lorsqu’il veut se calquer sur le modèle japonais, se référant à une histoire qui m’est étrangère… et qui ne s’inscrit pas dans mon contexte géographique réunionnais.

Je finis par me demander si on a le droit d’écrire des haïkus quand on n’a pas de saisons marquées qu’on puisse étiqueter et ranger mot après mot dans des petites boîtes ? Me faut-il déménager vers des contrées plus nordiques, plus correctement climatiques ? Dois-je me limiter à  vivre mes haïkus seulement en songe ?

Mais laissons là ces transports de mauvaise humeur, peu compatibles avec notre petit poème. Qu’importe le kigo ! Rien ne m’empêchera d’apprécier et d’écrire ces haïkus, qu’ils viennent du Japon ou d’ailleurs, qu’ils parlent du Nord ou du Sud ou de quelque province intérieure échappant à toute localisation.

 

Février

l’eau fraîche du soir

pour la vaisselle

 

Celui-là peut-être suis-je seule à le comprendre ?

Mais peut-être aussi éveillera-t-il un lointain écho chez un lecteur quelque part, quelque jour… avec sa propre interprétation. Le haïku une fois partagé, imbrique étroitement le tien et le mien et rend marginale la notion même de kigo.

 

(Monique MERABET 7 Février 2012 )

 

Publié dans Haïbuns

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M
<br /> Très intéressante, ta réflexion sur le kigo. Je n'y avais pas pensé avant et ça me frappe maintenant que tu parles de ton île où vous n'avez pas "de saisons marquées". Est-ce que ça veut dire que<br /> chez vous, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, ça n'existe pas? Qu'à l'année longue, c'est "pareil", la terre et la mer, les précipitations, les arbres, les fleurs, les animaux... et les<br /> humains dans tout ça .. ? Ou y a-t-il quand même des phénomènes naturelles (et culturelles) propres à certaines saisons ?<br /> <br /> <br /> La manière dont je comprends le kigo, c'est un mot /un terme qui désigne un phénomène, un geste, une manifestation culturelle ou sociale spécifique à un certain moment dans l'année dont la simple<br /> évocation suffit pour créer tout un ensemble, une atmosphère, un contexte de compréhension qui permet ensuite d'y inscrire le moment précis et l'émotion que le haïku veut exprimer. Pour moi, ce<br /> n'est pas tant une "obligation"/une contrainte/une limite qu'un formidable raccourci qui permet de dire beaucoup plus en très peu de mots et qui, de surplus, évoque tout un monde d'allusions et<br /> de références (l'intertextualité) à tout ce qui a déjà été dit ou écrit dans le contexte de ce "mot de saison". Pour moi, c'est un avantage de pouvoir disposer de l'astuce du kigo. Et quand un de<br /> mes petits poèmes n'en a pas - je ne m'en fais pas et l'appelle simplement "senryû" ....<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> amicalement<br /> <br /> <br /> M<br />
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