Mot de saison
MOT DE SAISON
Pourquoi y a-t-il des feuilles jaunes aux liserons, au benjoin, au petit évi ? Saison contrariée… Et ce plant de bois de corail qui a dépéri subitement, se dépouillant de ses belles feuilles ciselées. Cela ne me semble pas naturel en plein cœur de notre été austral.
C’est vrai que chez moi, sur cette île au caractère si particulier on s’y connaît en mélange de couleurs, de fleurs de fruits de feuilles et de branches offerts en même temps, à l’unisson d’une espèce d’unique saison fourre-tout qui aurait un penchant prononcé pour une infinité de microclimats. Avec parfois un côté surréaliste comme cette averse de grêlons du côté des Makes aujourd’hui. La grêle aussi nou néna…
Mais comment dit-on grêle en créole ? kanète la glass ? sorbé lo zanj ? zëf ti poul lalaska ? zékli la Glacière Madame Desbassyns ?
Mes saisons se dédoublent aussi lorsque je souhaite écrire un haïku et je me retrouve souvent en porte à faux vis-à-vis du fameux kigo autrement dit mot de saison. Mais quelle saison dois-je évoquer ? Mon âme métissée des quatre horizons s’émeut de cette notion intraduisible dans mon univers.
Dans le romarin Dann touf romarin
un cardinal me siffle in mal rouj i sif a moin
peut-être un kigo ? kèl sézon i lé ?
Pour parler franchement, l’emploi obligé du kigo m’agace prodigieusement lorsqu’il veut se calquer sur le modèle japonais, se référant à une histoire qui m’est étrangère… et qui ne s’inscrit pas dans mon contexte géographique réunionnais.
Je finis par me demander si on a le droit d’écrire des haïkus quand on n’a pas de saisons marquées qu’on puisse étiqueter et ranger mot après mot dans des petites boîtes ? Me faut-il déménager vers des contrées plus nordiques, plus correctement climatiques ? Dois-je me limiter à vivre mes haïkus seulement en songe ?
Mais laissons là ces transports de mauvaise humeur, peu compatibles avec notre petit poème. Qu’importe le kigo ! Rien ne m’empêchera d’apprécier et d’écrire ces haïkus, qu’ils viennent du Japon ou d’ailleurs, qu’ils parlent du Nord ou du Sud ou de quelque province intérieure échappant à toute localisation.
Février
l’eau fraîche du soir
pour la vaisselle
Celui-là peut-être suis-je seule à le comprendre ?
Mais peut-être aussi éveillera-t-il un lointain écho chez un lecteur quelque part, quelque jour… avec sa propre interprétation. Le haïku une fois partagé, imbrique étroitement le tien et le mien et rend marginale la notion même de kigo.
(Monique MERABET 7 Février 2012 )