Faux départ (VIII)

Publié le par Monique MERABET

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(image FLICKR)

MAMIE JOSETTE

(Camile PAYET)

 

Branle-bas de combat cet après-midi, au numéro 22 de la rue ST Jacques, là où réside la famille Jean-Baptiste. Dans une jolie case créole traditionnelle, lambrissée de bardeaux. Avec son toit en panneaux de zinc. Son jardin, bien entretenu, planté de bois de joli-cœur et de bois de senteur.

Toute la maisonnée, abasourdie, assommée, s’active dans une atmosphère d’affolement.

        Pierre, le fils, se précipite dans le bureau, il téléphone la nouvelle aux parents proches, aux amis. Il est précis. Pas de temps à perdre. Il y a tant de choses à faire…

        Marie, la fille, court avertir les voisins, elle hèle les deux amies de sa mère et sollicite leur aide. Tout ce petit monde se hâte, se croise comme si le ciel leur était tombé sur la tête.

       Une auto démarre en trombe, c’est Denis, le père, qui fonce à la Mairie pour les démarches administratives d’usage.

Josette, la mamie d’un mètre quarante sept, à la santé de fer, débordante d’énergie, toujours souriante, à l’humour apprécié, venait de déguster au déjeuner avec gourmandise la cuisse du cari de volaille, son morceau  préféré, avait sucé l’os jusqu’à la moelle, avait fait rire les siens à se tordre les côtes en leur racontant la préparation de son premier repas quand elle avait invité ses beaux-parents à déjeuner. Elle leur avait mijoté un coq au vin et au moment de servir, on avait retrouvé dans le plat le mouchoir dont elle s’était servi toute la matinée pour contenir les assauts d’un rhume carabiné.

Josette avait aimé aussi la glace aux goyaviers du dessert, apprécié son incontournable petit café à la vanille et s’était installée dans le sofa. Le sourire aux lèvres. Un léger ronflement. Un petit sifflement. Elle s’était assoupie.

Une sieste trop longue nuit au sommeil du soir. On a voulu la réveiller.

-‘’Maman ! Maman !... Coucou !...réponds-moi !... ouvre les yeux !...réveille-toi ! Tu ne dormiras plus cette nuit. Je t’en prie. Ne fais pas la gamine !’’

Aucune réaction. Et là, panique ! Mamie ne respire plus. Vite, un petit miroir ! On le lui met devant la bouche. Il faut se rendre à l’évidence, Josette vient de rendre son dernier souffle. Un coup de fil au médecin de famille! Il arrive quelques instants après. On veut croire au miracle. Hélas! Au grand désespoir de tous, il confirme le décès.

D’un seul coup, chacun revêt son masque de douleur, son masque de tristesse. Des têtes… d’enterrement. Quelques larmes, et quelques cris déchirants aussi.

Mais la douleur et la tristesse sont moins grandes quand l’être cher a eu une vie bien remplie. Et que surtout, il l’a croquée avec bonheur, tout du long, cette vie ! En outre, l’urgence des tâches à venir, leur nombre, ont vite fait de ramener courage et activité.

Les femmes présentes donnent à Mamie son dernier bain. Elle est encore toute tiède, Josette. L’eau chaude du bain sans doute… Elle a toujours son sourire du sofa, on dirait qu’elle respire encore.

Ah!  maman,  maman ! Tu vas nous manquer. Je vais te faire belle ! Tu sais ! Comme le dimanche quand tu allais à la messe.

On la parfume. Un peu de poudre de riz en fond de teint. Un peu de rose aux joues. Du rouge aux lèvres. Coups de crayon pour souligner les sourcils. Un peu de fard à paupières. Un coup de peigne.

Métamorphose ! Une belle femme de cinquante ans apparaît devant des yeux médusés. Il y a deux heures elle était encore avec nous en train de nous faire rire. C’est inouï !... Inadmissible ! Un sentiment de frustration, de non acceptation de ce sort injuste, se lit sur les visages.

Mais on continue. On habille mamie Josette de sa belle robe blanche préférée, brodée en jours de Cilaos. On l’installe dans le salon sur le canapé mortuaire préparé par d’autres mains amicales et solidaires, sur un drap blanc immaculé parmi les fleurs, les couronnes, les chandeliers, les bougies.

Chacun des arrivants y va de son petit commentaire :

-‘’Comment c’est arrivé ? Mais elle n’était pas malade…’’

-‘’Je l’ai embrassée ce matin ! Elle était en pleine forme… Elle m’a bien fait rire’’.

-‘’Elle est morte dans son sommeil. C’est une mort subite. Elle n’a pas souffert. Merci, Mon Dieu !

-‘’C’était son heure. Le Bon Dieu l’a reprise. Elle est avec lui en ce moment.’’

-‘’Regardez comme elle est belle. On dirait qu’elle vit toujours.

Les ‘’Je vous salue Marie’’, entrecoupés de chants : ‘’Mon Dieu, prends pitié !’’, s’égrènent. Quelques pleurs d’amis ou d’inconnus qui viennent bénir le corps en le signant avec de l’eau bénite. Quelques condoléances et encouragements à la famille. Et reprennent les Ave Maria, les chants, les incantations.

D’un seul coup, d’un seul, Josette se redresse, se remet sur son céans, jette aux alentours des regards hébétés  et  interrogateurs .

Adieu, fleurs, bougies, couronnes, chandeliers !…Tout disparaît comme par magie. Mais surtout grâce à la perspicacité et à la dextérité de parents tout proches.

Certains s’évanouissent. D’autres s’enfuient. Quelques uns, interdits, éberlués restent là pétrifiés, la bouche grande ouverte.

Avant que tout un chacun ne crie au miracle, à la résurrection, Josette lance à ce qui reste de l’assistance :

‘’ Qui ça la mette l’essence Pompéia su moin,… I saoule, oui, foutor !...Zot la habille à moin comme inn nouvelle mariée, mi vois…Hein, zot i veut enterre a moin un peu trop vite. Moin sera là encore longtemps pou ennuire à zot.’’

L’aventure de Josette fut pendant longtemps le sujet de conversation du quartier, de la ville, et bientôt  grâce aux médias, la télé en particulier, de l’île toute entière. Dans les coins reculés où on ne capte pas encore la télé, le soir à la veillée  on se raconte encore le faux départ de Mamie Josette.

 

 

Publié dans Faux départ

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